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fausse route

— Et comment cela va-t-il, tante Suzanne ?

Elle lui rendit son bonjour, un peu distraite, puis elle dit :

— C’est toi, qui parlais tout seul, tout à l’heure ?

Il rougit jusqu’à la naissance de ses cheveux courts, touffus, dressés en brosse au-dessus du front, et il dit :

— Je ne savais pas que je parlais haut.

Après une pause, il ajouta simplement :

— Oui,… je priais.

Ils cheminèrent un moment en silence. Il n’y avait rien d’étrange à ce que Michel visitât la tombe de son père, ni, étant à la veille d’être prêtre, à ce qu’il priât sur le gazon d’un cimetière ; cependant Suzanne ne l’avait pas su enclin à ces sortes de manifestations. Le son étouffé de cette prière saisie au vol lui restait dans l’oreille. Elle dit enfin, préoccupée :

— Je ne reconnaissais pas ta voix.

Michel passa sous le sien le bras de sa mère adoptive, respira un moment à pleins poumons l’air du soir tout saturé de parfums, et dit :

— Si vous saviez, tante Suzanne, comme j’aime la campagne, la terre, les plantes et jusqu’aux mauvaises herbes qui poussent timidement entre les pavés de la rue.

Elle réfléchit et dit :

— Quand j’étais à l’étranger, dans les grandes villes pleines de bruit et de poussière, je pensais comme toi. Oh ! j’ai si souvent pleuré en songeant à nos forêts !