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les ignorés

si profondément heureuse d’un bonheur qui appartenait à Valentin et dont elle était seule à jouir.

Cependant, quand elle eut dépassé d’une vingtaine de pas l’enclos fermé du cimetière, elle entendit venir à elle, de dessous le feuillage, comme un bourdonnement de voix qui la surprit à cette heure tardive, et elle s’arrêta pour écouter.

C’était comme une lente prière sans cesse finie et reprise, une sorte d’invocation courte, sourde et monotone. Personne à sa connaissance n’était mort dans la ville pendant le dernier trimestre. Qui donc avait le désespoir si tenace ?

Elle revint sur ses pas sans savoir pourquoi, poussée par une force invicible qui semblait lui dire : « Va. »

Quand elle se retrouva devant la grille, le bruit avait cessé, et au moment où elle ouvrait la porte, elle aperçut dans l’avenue de platanes déjà pleine d’ombre, une silhouette masculine.

Elle eut au cœur un brusque arrêt de tout son sang, tant sa surprise fut grande. Elle s’écria :

— Michel, c’est toi ?

Lui aussi eut une secousse d’étonnement en voyant inopinément devant lui sa mère adoptive, mais il se remit tout de suite et il dit tranquillement :

— Mais oui,… c’est moi. Ne vous voyant pas comme à l’ordinaire sur la route, je suis allé voir la tombe en passant.

Et comme toujours à l’arrivée, il l’embrassa sur les deux joues.