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la lettre jaune

Violette aussi, qu’elle, la grand’raaman, allait escompter le passé et mordre la part du petit ? Toutes les petites vexations sans nom, mais perceptibles, du dernier trimestre, étaient venues de là. Elle avait soupçonné beaucoup de choses, mais elle n’avait pas deviné cette inquiétude anticipée, mesquine et ingrate.

Elle déchira l’enveloppe jaune d’une main tremblante, en sortit deux feuilles pliées, en mit une dans un tiroir qu’elle ferma, parcourut de l’œil la missive qui accompagnait les chèques, et retourna dans la chambre où elle avait laissé Madru et Violette vis-à-vis l’un de l’autre, stupéfaits. Sans rien dire, elle alla poser le chèque sur la table. Il représentait une somme dépassant la pension de toute une année, et d’un seul coup d’œil rapide, Madru et Violette lurent la valeur écrite en chiffres, puis, tout au long, en lettres.

Ce fut Violette qui rompit la première le silence, le lourd silence devenu tout à coup si transparent. Délivrée de son obsédante inquiétude, elle venait d’éprouver vis-à-vis de sa mère une sensation très vive de honte et de chagrin. Tout ce que l’enfant, Madru et elle-même devaient à la large générosité maternelle lui revint brusquement à la mémoire.

— Chère maman, dit-elle… Je ne voudrais pas… Il y a eu un malentendu… Jacques…

À son tour, Madru s’approcha :

— Je vous demande pardon, grand’maman, dit-il,