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la lettre jaune

En même temps pour cacher l’intensité de son impatience, il prit des bras de Violette le bébé, l’enleva en l’air et le tint très haut au-dessus de son visage barbu. L’enfant se trémoussa de plaisir.

— Je n’ai pas encore ouvert ma lettre, dit la veuve tranquillement, je sais ce que c’est.

— On ne sait jamais ce qui se cache sous une enveloppe fermée, dit le notaire froidement. Dans les affaires d’argent les choses les plus imprévues arrivent.

La veuve se tut, tandis que son visage prenait l’expression de rêverie lointaine que des conversations de ce genre y amenaient toujours. Cependant une inquiétude plus vive et plus prochaine qu’à l’ordinaire lui prenait le cœur ce jour-là. Elle sentait avec angoisse que, ce jour-là, le silence devenait un rempart insuffisant, et que la réalité qui avait été, jusque-là, ambiante et impalpable autour d’elle, allait prendre une forme, se fixer dans une certitude, et franchir d’un bond le léger obstacle fait d’air et d’illusion.

— Je ne crois pas me tromper, reprit Madru en rendant l’enfant à Violette, c’est bien la banque X., n’est-ce pas, maman, qui vous a servi jusqu’ici votre pension ?

— Oui, dit la veuve laconiquement.

Et elle réfléchit une seconde, hésitante, cherchant hâtivement le meilleur moyen d’entraver encore cette fois le cours des choses sans sacrifier sa propre dignité, puis elle ajouta vivement :

— Jusqu’ici, oui.