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les ignorés

ver, mêlées aux parfums de sa première enfance, les anticipations fortes et calmantes d’une seconde maternité.

Il y avait plus d’un trimestre que la veuve, si régulière jusque-là dans les règlements des affaires d’argent, n’avait rien apporté de sonnant à son gendre. Madru, étonné, s’était expliqué cette négligence par la distraction causée à la grand’mère par la gentillesse du bébé, sa grâce, ses étonnants progrès de tout genre ; mais voyant le quatrième mois s’entamer sans amener de changement, il avait finalement pris peur et secrètement il s’était renseigné sur la solidité de la maison russe. La mauvaise nouvelle était arrivée par retour du courrier, et, depuis cette surprise désagréable, tous les soirs, lorsqu’ils se trouvaient seuls, Violette et lui, dans la chambre élégante, pleine de bibelots coûteux, de jolis meubles compliqués, dus à la générosité de la grand’mère, ils s’entretenaient du désastre, supputant les difficultés multiples que ce malheur allait jeter dans leur vie, mais évasivement, sans faire d’allusion directe à personne, gardant, vis-à-vis l’un de l’autre, la pudeur de leur véritable pensée.

— Enfin ! enfin ! maman, dit Violette, en présentant à sa mère le pli volumineux qu’elle avait reçu des mains du facteur, voici la lettre de Russie.

La veuve déjà tout habillée, coiffée du petit bonnet de gaze blanche qui ne quittait jamais sa tête grisonnante, prit l’enveloppe avec indifférence et la posa