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la lettre jaune

et de les immobiliser. Ce silence prudent où beaucoup de petites bulles empoisonnées, montées du cœur, crevaient et s’éteignaient sans troubler la surface des sentiments, lui assurait la tranquillité auprès de sa fille et du marmot, et son pauvre cœur fatigué n’en demandait pas davantage.

Outre le trousseau cossu où aucun esprit de lésinerie n’avait présidé au choix des étoffes, ni à l’abondance des pièces, ni à l’élégance de la façon, Violette avait apporté à son mari une dot raisonnable, mais la mère avait obstinément gardé le maniement de la pension venant de Russie. Une prophétique intuition l’avait éclairée à temps sur les dangers inhérents aux dévouements absolus. Elle payait largement le vivre et le couvert à son gendre, couvrait le bébé de générosités coûteuses, mais observait un silence tenace sur le contenu des enveloppes venant du lointain pays glacé. Elle gardait pour elle les expériences de son passé et taisait les soucis de sa vie conjugale. Violette elle-même avait toujours ignoré comment la clairvoyance d’amis sûrs avait arraché au gaspillage d’un mari éhonté les débris d’une fortune jadis solide et bien cotée. Enfoui sous le sol russe, le père de Violette se reposait désormais de sa vie étourdissante et perdue, et sa veuve, après avoir enseveli à côté de lui, dans le même cercueil, ses rêves morts et flétris, avait hâtivement emmené Violette loin de ce séjour de souffrance. Et elle l’avait mariée de bonne heure, tout près de sa propre ville natale, heureuse de trou-