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l’héritage de Mlle anna

tint entre ses doigts. Un scrupule la retenait, elle n’osait pas le détruire et elle ne savait pas bien ce qu’il fallait en faire. Elle resta un moment songeuse avant de prendre un parti et comme elle se tenait là, hésitante, il lui sembla saisir, dans le silence de la chambre, un son étouffé, inarticulé. Elle rejeta le papier sur la table et se rapprocha vivement du lit. Le vieillard s’était péniblement dressé sur son séant et il avait la tête tournée de son côté :

— J’ai été voir l’heure, dit-elle sourdement, tandis que l’acte qu’elle avait médité prenait en face de cette silhouette de moribond, un sens différent, je vous croyais endormi. Il est trois heures et demie. Souffrez-vous ? Voulez-vous quelque chose ?

Il fit un mouvement de la main comme pour écarter toutes ces paroles vaines qui venaient le distraire d’un préoccupation pressante, en retarder l’expression et tendant le bras vers la table pour aider d’un geste le difficile labeur de son intelligence, il articula avec effort :

— Là… c’est moi… c’est moi…

Puis comme s’il espérait en changeant le cours de sa pensée lui trouver un passage plus libre, il se retourna brusquement vers sa fille et ajouta :

— Tu… tu as voulu…

Une expression douloureuse vint contracter les traits et les transformer. En même temps les veines du front, très saillantes aux tempes se gonflèrent davantage ; tout le sang du malade sembla se jeter