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les ignorés

Le vieillard se tint debout, un peu chancelant, perdu dans la lourde étoffe ouatée, regardant les choses familières autour de lui d’un air content, comme si, après une courte absence, il reprenait joyeusement possession d’elles. Mais lorsqu’il eut franchi la distance qui le séparait du fauteuil et qu’il s’y fût abîmé, épuisé, une tristesse vint obscurcir sa sérénité. L’appétit de la vie lui était revenu avec son mieux-être et il venait de la sentir de nouveau vacillante et incertaine devant lui. Il tourna les yeux du côté du jour, vit le pommier et l’admira :

— Oh ! ce pommier ! Il est magnifique.

Mais le même dessous de tristesse qui avait assombri tout à l’heure la figure vibrait à présent dans la voix.

— N’est-ce pas ? dit Mlle Anna doucement, il n’a jamais été aussi beau.

Et la même pensée leur vint, oui la même poignante certitude que c’était la dernière fois qu’ils verraient ensemble refleurir le printemps. Ils restèrent un moment silencieux, les petits faits ordinaires de la vie semblaient, à l’heure présente, très éloignés d’eux.

Attachant ses yeux clairs sur la silhouette de la gouvernante, restée très jeune et très svelte sous sa robe de laine grise, le vieillard reprit enfin :

— Vous avez été une fille pour moi.

Et comme si un silencieux rapprochement s’opérait dans son esprit, il ajouta :

— À quelle heure arrive Amélie ?