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l’héritage de Mlle anna

soir, Justine entr’ouvrit la porte et s’informa une dernière fois :

— Mademoiselle ne veut toujours rien manger ?

Cette fois elle accepta et poussée à bout par l’irritation intérieure dont elle avait souffert toute la journée, elle ajouta :

— Dites à Mlle Louise de ne pas rire dans la maison.

Un silence de mort s’établit tout de suite dans la cuisine. Mme Madre et sa fille, muettes, mangèrent hâtivement, pressées de fuir cette oppressante atmosphère de deuil. Furtivement, elles allèrent ramasser leurs effets au jardin et se glissèrent dehors comme des ombres, emportant chacune, en souvenir de cette belle journée de printemps, une petite branche fleurie, cassée, en cachette, au magnifique pommier.

La nuit venue, écrasée de fatigue, Mlle Anna s’assoupit. Elle dormit deux heures d’un sommeil de plomb, puis tout à coup elle se réveilla en sursaut. Il lui semblait avoir entendu, tout près d’elle, rire Mlle Louise et ce rire lui déchirait les oreilles. Elle regarda autour d’elle, effarée, et tout de suite elle saisit la voix du vieillard qui bégayait :

— Ma…ma…

Elle se dressa et se pencha sur lui vivement :

— Voulez-vous quelque chose, Monsieur ?

Et elle frissonna en face de l’affreuse lutte qui allait recommencer entre son esprit, à elle, clair et présent, et la puissance d’obscurité contre laquelle ses efforts s’émoussaient en vain !