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une course nocturne

court laps de temps, des choses graves pouvaient se passer. Il était évident, en effet, que l’individu invisible qui se trouvait à cette heure dans la forêt s’y trouvait à son intention. Il l’avait accompagné pas à pas depuis l’entrée du taillis et aussi longtemps que le lieu et le moment choisis pour se montrer ne seraient pas atteints, il s’arrêterait ou marcherait, suivant l’exemple donné. Dans la sécurité de cette noire solitude, il ne se donnait même plus la peine de déguiser sa présence. Distinctement, le docteur entendait le froissement du feuillage sans parvenir à saisir si ce frou-frou mystérieux venait de sa droite ou de sa gauche, et peu à peu, bien que son cœur ne connût pas la peur, l’invisible présence de cet être de chair et d’os qui le guettait à travers le brouillard, lui donnait un insupportable ébranlement nerveux. Il était possédé d’une impatience fébrile de le voir face à face, de le saisir dans ses mains robustes et, quoiqu’il pût arriver ensuite, de se mesurer avec lui corps à corps dans l’opaque silence de cette forêt. Il s’arrêtait de temps en temps pour crier :

— Qui est là ?

Et toujours lorsqu’il faisait ainsi halte dans l’ombre, au bout d’un instant, le bruit des pas s’arrêtait aussi pour recommencer dès qu’il se remettait en route.

Ce ne fut que lorsque un quart d’heure à peine le séparait de la grande route, au moment où il se félicitait d’avoir traversé indemne les coins les plus sombres et les plus dangereux de la forêt, que, tout à