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pleine de brouillard, où tout ce qui l’entourait était indistinct et fuyant !

Tout à coup, sa rêverie triste et flottante s’envola brusquement ; son attention, sollicitée par ses sens, se portait tout entière sur un point précis et il s’arrêta net au milieu de sa course précipitée. Cette fois, il n’avait pas rêvé, il était sûr, absolument sûr d’avoir entendu près de lui un bruit de pas. Il alla s’adosser à un arbre de manière à faire face au danger quel qu’il fût et il cria très haut :

— Qui est là ?

Il n’éprouvait aucune crainte, mais son sang courait plus vite dans ses veines de sexagénaire. La passion de l’existence si puissante au cœur de l’homme même lorsque la vie l’a déçu, l’armait de résistance, le dressait tout bouillant de courage en face d’un adversaire possible dissimulé dans les ondes mystérieuses de cette brume opaque. Il cria une seconde fois :

— Qui va là ?

Et il attendit, l’oreille ouverte. Distinctement, il saisissait un frou-frou de feuilles piétinées, mais aucune autre réponse ne fut faite à son appel. Au bout de quelques secondes, le bruit de feuilles lui-même cessa et l’absolu silence de la nuit se rétablit.

Il stationna un quart d’heure, l’œil et l’oreille au guet, puis ne voyant ni n’entendant rien, il se remit en route d’un pas accéléré. En conservant à sa marche cette allure rapide, dans une demi-heure il serait sur la grand’route, tout près de chez lui. Mais pendant ce