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une course nocturne

— Bien, M. le docteur, bien, dit-il. Mais vous ! Voilà un vilain temps pour traverser la forêt.

— En effet, dit le docteur de la même voix forte. Il ne fait pas beau, ce soir.

Et au moment où le brouillard glacé lui frappa le visage en plein, il eut un brusque mouvement de recul. Au sortir de cette chambre surchauffée, cette pénombre blafarde et trempée donnait le frisson. Il marmotta entre ses dents un ouf ! d’impatience, d’ennui et de fatigue et sortit dans l’épaisse nuit humide.

La masse sombre de la forêt se dessinait au bout du sentier. Elle formait une tache indistincte mangée de tous côtés par la brume.

Quelque part, sur un ciel invisible, la lune accomplissait son circuit nocturne ; avant de pénétrer dans l’obscurité du sous-bois, le docteur chercha la place où elle devait se trouver. Mais aucune lueur nulle part ne trahissait sa présence. Le couvercle humide qui enveloppait le monde était trop dense, trop hermétiquement appliqué à la croûte terrestre. Il fallait se tenir pour satisfait de ne pas avoir à faire cette course nocturne par les épaisses ténèbres d’une nuit sans lune. Il s’introduisit en soupirant sous le dais des branches jaunissantes et, d’une allure pressée, commença à fouler les feuilles desséchées que l’automne précédent avait moissonnées. Mais au bout d’une centaine de pas à peine, il s’arrêta net et se mit à écouter dans la nuit. Il avait cru entendre très près de lui un bruit inexplicable, un froissement de feuillage sem-