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gros de reproches qu’au milieu de sa cruelle inquiétude, elle se sentit atteinte jusqu’au cœur. Oui, c’était vrai, elle n’avait pas prononcé le nom de Thérèse, elle n’avait pas une seule fois pensé à sa fille en répondant aux questions rapides qu’on lui posait ; l’idée d’arracher l’argent à ce voleur de morte l’avait trop exclusivement possédée. Au fond de sa mémoire, Thérèse reparut tout à coup alerte et vivante, d’abord toute petite, courant dans l’herbe avec Pierre, puis plus tard fraîche, jolie, fêtée, et, enfin, après sa grosse maladie, dans l’abandon noir créé autour d’elle par sa subite laideur. Dans ce temps-là, Pierre comme les autres s’était éloigné d’elle. Il l’avait très longtemps évitée comme si sa vue lui inspirait une répugnance insupportable. Puis, peu à peu, par pitié, sans doute, il s’était rapproché. Où que la mère reportât son esprit dans le passé, elle revoyait la grande figure droite de Pierre aller et venir autour de leur foyer. Et tout à coup elle entendit résonner à son oreille cette petite phrase brève sans laquelle ni elle ni son homme ne seraient jamais venus s’asseoir sur ces bancs de coupables : « Si j’étais vous, j’irais au tribunal. »

Toujours vivante, toujours éveillée, la tendresse de Pierre pour Thérèse la protégeait donc au-delà du tombeau ; elle ne s’était laissé étouffer ni par la trahison, ni même par la mort.

— Votre nom ?

— Pierre Loriot

— Votre âge ?