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les ignorés

trente ans de vie solitaire, cette comédie avait tourné la tête à la Thérèse. Elle n’avait jamais voulu voir le masque qui déguisait le vrai visage, les traits rusés et méchants. Par quel poison de tromperie ce misérable avait-il dû l’ensorceler pour qu’elle eût cru pouvoir, avec sa figure ravagée par la grosse maladie de sa jeunesse, éveiller l’amour dans un cœur d’homme ? l’amour, qui pour fleurir une heure hâtive, veut la fraîcheur du printemps, et l’odeur du blé vert trouant la terre, et tous les espoirs solides d’une belle saison qui commence.

Quelques heures plus tard, quand la vieille femme revint de la ville, elle avait, au milieu de la nature glacée, sèche et morte, l’âme en fête. La perspective d’une lutte, d’une lutte prochaine suivie d’une victoire assurée, tempérait, pour la première fois depuis la disparition de Thérèse, l’insupportable regret d’un avoir qui était à elle, et qu’une poche étrangère avait englouti sous ses yeux.


III


De très bonne heure, ce jour-là, la salle de justice de la ville voisine, local étroit, dénudé et laid, s’était remplie de monde. Tous les gens valides du village,