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couvertures en reniflant bruyamment. De temps en temps, il dressait la tête et hurlait la gueule ouverte. Dans le coin de la chambre, derrière le lit, l’horloge continuait à scander la fuite des secondes de sa voix sèche et menue, et son cadran d’émail fixait le vide d’un œil rond, indifférent et mort. Jérôme ne voyait ni n’entendait rien. Il restait abîmé dans la considération du fait brutal qui venait de s’accomplir dans la journée. Catherine était à jamais perdue pour lui.

Ce ne fut que lorsque le premier train de nuit passa qu’il sursauta sur sa chaise comme si ce bruit familier le ramenait enfin aux réalités nécessaires de son existence. Il sortit de son abattement, alluma le feu, puis il alla soulever le rideau de mousseline et regarda par la fenêtre. Il faisait une nuit noire, trempée, lugubre ; des nuages très bas, pesants, roulaient leurs masses sombres les unes sur les autres, comme si jamais cette provision d’eau ne pourrait tarir, mais les quatre sillons brillants tracés sur le sol par la double rangée des rails restaient visibles. Dans deux heures le grand express nocturne passerait là comme un ouragan !

Jérôme retourna s’asseoir auprès du foyer où la flamme, en pleine activité, faisait craquer le bois sec avec des éclats d’étincelles et de brusques sifflements. Toute la chambre s’était éclairée d’une lueur ardente et gaie. Des vêtements trempés de Jérôme, une buée s’élevait et l’enveloppait. Au milieu de ce brouillard des souvenirs se mouvaient avec une extraordinaire netteté. Pas à pas, Jérôme refaisait toute son histoire de-