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les ignorés

visage assombri s’était contracté. Il articula nettement, d’un ton sec, froid, cassant :

— Je n’ai pas de fils.

Et il s’en alla rapidement. Le visage banal et fatigué de la veilleuse s’alluma d’une intense curiosité. Elle alla ouvrir la porte derrière Jérôme et le regarda s’éloigner du côté des grandes forêts. Puis elle vint se rasseoir à côté de Catherine, en murmurant :

— Est-ce que le chagrin lui troublerait l’esprit à présent ? Il ne leur manquerait plus que ça.

Trois semaines s’écoulèrent lentement sans que Catherine sortît de son apathie. Un soir, enfin, que Jérôme avait détaché le chien et que la bête, impatiente, se livrait auprès de sa maîtresse, à ses démonstrations ordinaires, Catherine souleva sa main pesante et murmura :

— Mon beau !

Jérôme anxieux se pencha aussitôt sur elle :

— Catherine, Catherine… c’est moi !

Elle le regarda longtemps, attentivement, puis elle ferma les yeux et ne dit rien.

À partir de ce moment, la fièvre la quitta, mais elle restait languissante, refusait de se nourrir et ne parlait jamais de se lever. Des heures et des heures, Jérôme restait assis à côté d’elle à la regarder sans rien dire. La distance qui les avait séparés subsistait quoi qu’il fît pour la franchir ; elle subsistait malgré le bouleversement de ses convictions et, cette fois,