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les ignorés

rut à la porte, mais sur le seuil, il s’arrêta indécis. Il balbutiait haletant :

— Le chien… le chien…

— Passe devant la maison et laisse la porte ouverte, tout ouverte.

Jules se glissa dehors, laissa la porte ouverte et s’enfuit en courant. Catherine le vit bondir comme un écureuil par-dessus la double rangée des rails et le souvenir de la fuite nocturne du fils de Jérôme se réveilla. Tout ce qu’elle avait souffert depuis ce moment lui revint avec une intensité pénétrante. Quoi qu’il advint, désormais, le bonheur des anciens jours était perdu pour elle. Jamais l’opprobre où elle avait vécu à côté de Jérôme ne pourrait s’effacer de sa mémoire ; la trace en avait été gravée au fer rouge sur son âme. Jules continuait de courir sans se retourner et Catherine, le cœur plein d’amertume, le regardait fuir à travers champs. Mais tout à coup elle se redressa, fit quelques pas du côté de la porte et elle cria d’une voix aiguë, stridente :

— Ici… ici…

Le chien, lancé en pleine course, s’arrêta brusquement.

De la même voix perçante, Catherine répéta son appel :

— Ici… ici… ici…

La queue basse, l’animal revint sur ses pas, rampa à contre-cœur dans la maison et vint se coucher, docile, aux pieds de sa maîtresse.