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les ignorés

Mais pendant ces longs mois de souffrance silencieuse, Catherine avait perdu sa fraîcheur de blonde. Ses joues s’étaient creusées, ses yeux aux paupières froissées avaient pris un éclat trop vif. La chevelure, crépue et abondante, qu’elle tordait derrière la tête, n’encadrait plus qu’une toute petite figure détruite.

Il lui arrivait quelquefois, tant sa fatigue était grande, de s’étendre tout habillée sur son lit, tandis que le chien la guettait d’un œil inquiet, et l’agaçait de sa grosse patte impatiente.

Un soir que, comme à l’ordinaire, le repas silencieux fini, Jérôme s’en était allé sans la regarder, elle se traîna jusqu’au lit et s’y jeta. Elle n’en pouvait plus. Avant de prendre un peu de repos, il lui était impossible d’achever le travail de la journée. Il faisait encore jour et, à travers les vitres, elle voyait le ciel gris, uni, étendre à perte de vue, sans trouée ni déchirure, sa couleur éteinte et triste.

D’ordinaire, quand elle demeurait ainsi étendue immobile sur son lit, son excessive fatigue se dissipait peu à peu, elle pouvait songer à son chagrin avec moins d’effort. Mais ce jour-la, elle ne pouvait pas même penser. Toute la nuit précédente le chien, attaché à sa chaîne, avait hurlé dehors bruyamment et, pas une minute, Catherine n’avait dormi. Une lassitude écrasante l’assoupissait. Les membres engourdis et les idées confuses, elle flottait dans un monde vague, où les choses cruelles de sa vie perdaient leur