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le garde-voie

Il restait là de longues heures, couché sur le dos, le regard fixé sur l’étendue plate que le voleur de son argent avait traversée par la neige pour venir trouver Catherine au sourd de la nuit. Avec la patience tenace du chasseur à l’affût, jour après jour, il attendait le retour du père de Catherine, sûr de le voir poindre tout à coup au fond de la distance et prêt à lui faire payer coûte que coûte la perte de son bonheur. S’il ne se défendait pas, il le rendrait simplement à la justice ; s’il essayait d’échapper, alors, au prix de n’importe quel malheur, il le retiendrait et Catherine assisterait à leur lutte de tout près. S’il pouvait l’entendre gémir une seule fois tout haut de sa vilenie, peut-être qu’il pourrait lui pardonner.

Toutes les fois qu’il était obligé de s’en aller veiller à la cahute, Jérôme attachait le chien dehors à une chaîne d’acier fermée par un cadenas dont il emportait la clef. L’animal, habitué à une pleine liberté à côté de sa maîtresse, hurlait pendant des heures de suite, tandis que Catherine, tenue éveillée, l’écoutait attendant le passage des trains pour mesurer l’interminable longueur de la nuit. Et lorsqu’elle entendait le sifflet aigu traverser l’espace et le roulement brusque des voitures frôler sa maisonnette, il lui venait des envies, inconnues autrefois, de s’en aller, elle aussi, emportée bien loin par cette course rapide, de fuir ailleurs, dans des endroits nouveaux, où elle n’aurait pas goûté au bonheur.

Après ces nuits-là, elle se levait pâle, étourdie,