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les ignorés

La lune n’était pas encore levée. À peine voyait-on, à travers la brume opaque et rousse qui descendait jusqu’à la neige, la double rangée des rails luire faiblement ici et là en faisant courir sur le sol leurs quatre serpents d’acier.

Comme elle l’avait fait la veille, lorsque Jérôme s’en allait pour sa veillée solitaire, Catherine le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, seulement la joie qui l’animait le soir précédent s’était évanouie. Quelques heures rapides avaient suffi pour lui enlever la tranquille possession de son bonheur. La tendresse de Jérôme, devenue le jouet d’un misérable, venait de chanceler sous ses yeux.

Par quels mensonges, par quelle tricherie, ce fils corrompu s’était-il, à ce point, emparé de la confiance de son père ? Jérôme croyait à la parole de Jules et doutait de la sienne à elle ! Il avait donc toujours, sans qu’elle s’en doutât, aimé ce fils pervers, plus qu’elle-même…

Elle souffrait affreusement de cette découverte et, en même temps, l’ancienne oppression de sa jeunesse lui revenait Elle sentait peser sur elle le poids, si connu, d’une responsabilité étrangère et, cette fois, le faix de cette vieille épreuve la brisait. Elle s’abandonnait à la fatalité sans résistance comme si le soupçon tenace de Jérôme avait détruit, à fond, le ressort de son énergie. Puisque Jérôme, sans la croire ! avait voulu revoir Jules, elle était perdue !

Quand elle ne vit plus devant elle que l’épais voile