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le garde-voie

Catherine réfléchit. Un fait lui devenait absolument clair. Jules, en découvrant que son père ignorait sa participation aux aventures de la nuit, s’était hâté de prendre les devants. Il avait inventé une histoire pour la noircir aux yeux de Jérôme et rendre, en cas de conflit, sa parole sans valeur. Mais quelle était cette histoire et comment avait-il pu lui donner une couleur de vérité suffisante pour inquiéter Jérôme ?

Un instant, elle hésita, tenant, entre ses mains inquiètes, la balance mystérieuse des événements. Devait-elle permettre à cet être pervers de se servir d’elle pour cacher sa vilenie ? Un instant elle songea à sa destinée qui avait été si sombre jusqu’à sa rencontre avec Jérôme, elle y songea avec une acuité si intense que la période de soleil qu’elle avait traversée depuis cette époque lui parut tout à coup confuse comme un rêve, puis elle dit tranquillement :

— Jules a le cœur léger et la langue souvent trop longue, mais ce qu’il dit, c’est sans méchanceté. On sait tous les deux ce que ça vaut.

Pendant que Catherine parlait, Jérôme avait capturé le chien au passage. Il s’était assis et il le tenait entre ses genoux, examinant d’un air préoccupé la mâchoire aux crocs méchants. Son examen fini il coucha l’animal sur le flanc et posa son pied pesant sur le pelage roux, touffu. La bête céda, resta immobile. Sans quitter des yeux l’animal dompté, Jérôme dit brusquement :

— Il voudrait se marier, ce garçon.