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le garde-voie

sans penser à considérer son image, elle allait tordre la masse épaisse de ses cheveux blonds, elle se regarda, attentive, jusqu’à ce que son sang circulât de nouveau librement dans ses veines. Dès que son teint eut reprit une apparence presque ordinaire, elle alla à la fenêtre, souffla son haleine brûlante sur une des vitres, débarrassa un coin du verre de son voile de givre et regarda dehors.

Jérôme marchait dans la plaine de neige, suivant pas à pas les traces du passage de son fils. De temps en temps, il se baissait et regardait longtemps le sol, puis il se relevait, mettait sa main en abat-jour devant ses yeux et questionnait la distance. Il alla ainsi devant lui jusqu’à l’endroit où Jules avait commencé de courir. Arrivé à ce point, il s’arrêta, hésita, puis revint hâtivement du côté de la maison. Catherine quitta la fenêtre au moment où il rentrait. Le sourire qu’elle avait ébauché avec effort s’effaça de ses lèvres dès qu’elle eut jeté les yeux sur son mari. Son air inquiet, soucieux, absorbé, la poignait.

Un instant l’envie de dire la vérité, d’avouer au père la faute du fils, de sortir à temps de ce marécage de tromperies, où elle allait s’embourbant, lui traversa le cœur. Un instant, elle hésita entre les deux chemins ouverts devant elle, dont l’issue lui était également inconnue, mais l’horreur de ce rôle de bourreau à jouer vis-à-vis de Jérôme raffermit sa résolution. Non, jamais Jérôme ne recevrait de sa main, sans nécessité absolue, cette blessure sans guérison.