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tranquille de Jérôme. Il dormait du profond sommeil que donne la fatigue physique. Armée de son balai, elle se glissa dehors et, vite, sous l’air piquant du matin, elle dispersa la neige de ci de là, avec une hâte fiévreuse, jusqu’à ce que la trace des promenades de Jules autour de la maison eût complètement disparu. Jusque dans le jardinet où Jules avait achevé de mûrir son projet, elle balaya la neige, l’entassa soigneusement et créa un enclos propre où l’on pouvait circuler à sec.

De l’autre côté des rails, très loin dans le champ de neige, les empreintes profondes restaient visibles, mais Catherine les laissa subsister. Ce qui s’était passé si loin d’elle sur ce tapis de neige, où les bruits s’étouffaient, elle pouvait paraître l’ignorer, tandis qu’elle ne trouverait aucune explication à l’étrange fantaisie d’aller promener son balai à travers la campagne.

Elle rentra furtivement comme elle était sortie, et elle resta un moment debout au milieu de la chambre avec, au front, la sueur de son labeur précipité et, au cœur, l’angoisse d’une faute. Pendant quelques minutes, elle porta la responsabilité du forfait de Jules comme si elle l’eût commis de ses propres mains tant il lui semblait impossible de se dégager, pure de reproche, de l’aventure de la nuit. Si longtemps la responsabilité d’une faute étrangère avait écrasé sa vie qu’elle retrouvait dans son esprit tous les vieux plis du passé. Elle les acceptait d’ailleurs comme autrefois sans com-