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le garde-voie

qu’il chérissait était venu de nuit le dépouiller lâchement.

Non, jamais elle ne pourrait se décider à cet acte cruel.

Il fallait mentir alors ?

Au lieu d’attendre Jérôme avec son impatience ordinaire, elle regardait l’aiguille avancer sur le cadran de l’horloge et il lui semblait que les minutes volaient tandis que son esprit alourdi restait inactif, incapable d’aucun effort.

Une heure passa, puis deux, sans apporter de solution à ce tourment intérieur, où le vague souci d’appréhension que sa jeunesse malheureuse avait semé dans sa vie, flottait confusément.

Tout à coup, tout près d’elle, le sifflet strident du dernier train de nuit déchira l’air. Catherine sursauta sur sa chaise comme si c’était la première fois qu’elle entendait ce bruit aigu traverser la paix nocturne. Le roulement approcha, grandit, menaça, puis s’enfonça dans la distance et s’y éteignit.

Dans l’àtre, le feu consumé couvait sourdement sous la cendre ; dehors, l’éclat cru de la lune avait disparu ; autour de Catherine régnait l’obscurité transparente d’une belle nuit d’hiver. Elle se leva. Dans moins d’une heure, Jérôme rentrerait. S’il la trouvait sur pied à cette heure matinale, il soupçonnerait quelque chose. Elle se dévêtit dans l’obscurité et se coucha. Le visage tourné du côté de la fenêtre, elle resta longtemps les yeux ouverts, regardant à travers le givre