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le garde-voie

racontais mes petites affaires et que cela vous faisait rire.

En même temps, il essaya de nouveau d’approcher sa joue du visage de sa belle-mère, mais elle le repoussa, l’œil étincelant :

— Et où trouverais-tu de quoi rapporter ce que tu as pris ? Tu mens, tu ne rapporteras jamais rien. Va-t’en.

Elle avait ouvert la porte, et elle lui montrait du doigt son chemin dans la nuit éblouissante. La lune, toute ronde, descendait du côté du couchant ; solitaire au milieu du ciel vide, elle inondait la plaine ensevelie sous la neige d’une lumière éclatante et glacée. Ici et là des ombres marbraient de taches bleuâtres le sol blanc ; quelque squelette d’arbre aux branches dénudées et noires ou quelque pierre aux angles aigus soulevant l’épaisse couverture de neige, projetait ainsi sur le sol une silhouette découpée ou massive.

À côté de la demeure du garde le poteau télégraphique allongeait sur la neige une ligne svelte, interminable qui créait une coupure nette entre ce coin du monde et la distante région, où Jérôme, l’esprit tranquille, veillait.

Catherine regarda le jeune homme franchir l’espace qui le séparait de la voie en se servant de l’empreinte profonde laissée par ses pas dans la neige. Il s’en allait vite, sans se retourner. Elle le suivit un instant des yeux sans souffler mot, puis brusquement, elle l’ap-