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le garde-voie

leur ménage ; mais Catherine avait toujours refusé. Elie n’avait peur que des rêveries de son imagination. Personne, si ce n’est Jérôme, ne pouvait la garantir de cette persécution-là et elle lui avait soigneusement tu des inquiétudes, que sa présence seule suffisait à dissiper. De leurs bouches, inhabiles à exprimer les sentiments profonds, leur amour se traduisait en niaiseries, sans que jamais la répétition des mêmes scènes ou des mêmes mots leur devînt fastidieuse ou leur semblât bête. Au milieu de cette solitude absolue, ces deux vies confondaient leur trame dans un tissu si serré que rien, rien au monde, ne semblait plus pouvoir les séparer.

Plusieurs fois pendant les longs jours d’été, où la lumière s’attardait longtemps sur l’immense campagne plate, Jules, le fils de Jérôme, était venu passer avec eux le dimanche. Depuis la dernière gare où s’arrêtait le train venant de la ville, il avait deux heures de marche en pleine campagne avant d’atteindre la demeure de ses parents.

Comme Catherine l’avait pressenti, l’enfant de Jérôme s’était accoutumé à elle. Dans ce désert où personne ne l’observait, où il se sentait à l’abri des quolibets et du blâme, il s’était vite défait de son air froid et il acceptait les gâteries de sa belle-mère avec entrain. Il l’embrassait à pleines lèvres et, pour la faire rire, il lui racontait des histoires drôles de beau garçon. Mais elle devenait grave à ces confidences, elle secouait sa tête frisée et le grondait sans rire. Les