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fausse route

de vue. Suzanne avait continué ses études jusqu’à la fin des classes, tandis que Rose, — alors Rose Jacquelin, — avait dû rentrer à la maison pour aider à la besogne domestique.

Le dimanche, cependant, les amies avaient continué de se voir quelquefois, mais de plus en plus rarement. Suzanne ayant, à cette époque, perdu sa mère du jour au lendemain, d’un coup de sang au cœur, l’enfant était restée longtemps grave après ce chagrin, sérieuse comme la tombe, tellement changée par sa peine qu’elle avait mal pris les efforts de Rose pour l’en distraire. Elle s’était tenue depuis ce moment presque sur la défensive, vis-à-vis de son amie, comme si celle-ci cherchait à lui prendre de force son chagrin, et Rose ayant la même année rencontré Charpon, avait laissé son amie ruminer à son aise ses regrets et ses idées noires sans la perdre tout à fait de vue pourtant, comme si elle pressentait la suite de hasards invraisemblables qui beaucoup plus tard rapprocheraient forcément leurs destinées. À peu près à la même époque, Suzanne s’était fiancée à Maubraz. Orpheline de père et de mère, ce mariage était pour la jeune fille un port de salut inespéré. L’engagement avait duré deux ans, et puis tout à coup on avait appris que le jeune homme, obsédé par les sollicitations et les railleries de son parentage, quittait brusquement Suzanne pour épouser sa cousine éloignée, Victorine Goulard, plus âgée que lui de sept ans, mais qui avait du bien et que son