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courage de la prendre pour femme, qu’il avait tenu tête à l’opposition de sa famille, à la colère de son fils, aux moqueries méchantes et empoisonnées, elle ne demandait qu’à vivre isolée, à l’abri de la critique du monde et des petites chicanes de la parenté. Elle avait assez d’ouvrage pour occuper ses mains, et, après les tourments de sa jeunesse, son esprit se reposait délicieusement dans le bien-être inespéré d’un foyer où quelqu’un avait besoin d’elle. Cette conviction la remplissait d’une joie ardente. Elle goûtait, entre les quatre murs de sa maisonnette, une paix si profonde que jamais les longues heures de sa solitude ne lui devenaient insupportables. Seulement, quand Jérôme était forcé de s’en aller de nuit, elle restait éveillée jusqu’à son retour. L’été elle guettait, au petit jour, l’approche du pas pesant sur la terre sèche de la voie, et l’hiver, quand la neige étouffait les bruits, elle devinait au battement de ses tempes que la longue nuit d’attente atteignait l’heure du chant du coq. Mais aucun coq ne chantait dans le voisinage. Il n’y avait que le silence, le silence écrasant des solitudes nocturnes, coupé brusquement, de temps en temps, par le passage sifflant des trains. Toute la maison branlait sur sa base à ces moments-là, et, au commencement, il semblait à Catherine que ce monstre qui s’avançait dans la nuit allait l’emporter, elle, sa demeure et son bonheur ; son bonheur surtout, cet incroyable bonheur qu’elle ne pouvait pas encore accepter comme un état définitif.