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les ignorés

Micheline tressaillit. Elle se ressouvenait du poupon ridé qu’elle trouvait si laid dans sa couchette de bois. La petite fille transformée, devenue robuste et jolie, se vengeait inconsciemment du dédain maternel. Elle était cruelle d’instinct.

Des larmes ruisselèrent sur le visage couturé. Il ne suffisait plus aujourd’hui à Micheline de paraître pour voir aussitôt des visages souriants. Aimer et se faire aimer, elle entrevit devant elle un long et patient apprentissage.

D’un air sérieux, la petite fille considéra longtemps le chagrin causé par sa résistance. Elle se détacha enfin de son père, s’approcha à petits pas craintifs de Micheline et brusquement, enfermant dans ses bras tout ce qu’elle put embrasser de la jupe maternelle, elle dit :

— Ça ne fait rien. Quand même c’est vilain, tu vois, je t’aime bien.

Micheline enleva l’enfant comme une plume, la serra contre sa poitrine, la couvrit de baisers brûlants. Elle balbutiait, la voix entrecoupée :

— Non… cela ne fait rien… que je sois… vilaine… pourvu que toi, tu sois… tu sois jolie… Il vaut mieux que je sois… vilaine… moi… et toi… mignonne… Cela vaut mieux parce que… parce que…

Elle n’acheva pas. Ce qu’elle éprouvait était trop complexe pour être expliqué clairement. Il n’y avait qu’une chose qu’elle comprenait bien. C’est qu’en même temps que le monde nouveau, objet de ses