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je n’ai pas goûté depuis un seul moment de satisfaction. Jugez-en par les démarches qu’elle m’a fait faire. » Il me raconta qu’après s’être aperçu que je l’avais trompé, et que j’étais parti avec ma maîtresse, il était monté à cheval pour me suivre ; mais qu’ayant sur lui quatre ou cinq heures d’avance, il lui avait été impossible de me joindre ; qu’il était arrivé néanmoins à Saint-Denis une demi-heure après mon départ ; qu’étant bien certain que je me serais arrêté à Paris, il y avait passé six semaines à me chercher inutilement ; qu’il allait dans tous les lieux où il se flattait de pouvoir me trouver, et qu’un jour enfin il avait reconnu ma maîtresse à la comédie ; qu’elle y était dans une parure si éclatante, qu’il s’était imaginé qu’elle devait cette fortune à un nouvel amant ; qu’il avait suivi son carrosse jusqu’à sa maison, et qu’il avait appris d’un domestique qu’elle était entretenue par les libéralités de M. de B***. « Je ne m’arrêtai point là, continua-t-il ; j’y retournai le lendemain pour apprendre d’elle-même ce que vous étiez devenu. Elle me quitta brusquement, lorsqu’elle m’entendit parler de vous, et je fus obligé de revenir en province sans aucun éclaircissement. J’y appris votre aventure et la consternation extrême qu’elle vous a causée ; mais je n’ai pas voulu vous voir sans être assuré de vous trouver plus tranquille.

— Vous avez donc vu Manon ? lui répondis-je en soupirant. Hélas ! vous êtes plus heureux que moi, qui suis condamné à ne la revoir jamais ! » Il me fit des reproches de ce soupir, qui marquait encore de la faiblesse pour elle. Il me flatta si adroitement sur