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à faire pour me venger. » Mon père voulut savoir quel était mon dessein : « J’irai à Paris, lui dis-je, je mettrai le feu à la maison de B***, et je le brûlerai tout vif avec la perfide Manon. » Cet emportement fit rire mon père, et ne servit qu’à me faire garder plus étroitement dans ma prison.

J’y passai six mois entiers, pendant le premier desquels il y eut peu de changement dans mes dispositions. Tous mes sentiments n’étaient qu’une alternative perpétuelle de haine et d’amour, d’espérance ou de désespoir, selon l’idée sous laquelle Manon s’offrait à mon esprit. Tantôt je ne considérais en elle que la plus aimable de toutes les filles, et je languissais du désir de la revoir ; tantôt je n’y apercevais qu’une lâche et perfide maîtresse, et je faisais mille serments de ne la chercher que pour la punir.

On me donna des livres qui servirent à rendre un peu de tranquillité à mon âme. Je relus tous mes auteurs. J’acquis de nouvelles connaissances. Je repris un goût infini pour l’étude. Vous verrez de quelle utilité il me fut dans la suite. Les lumières que je devais à l’amour me firent trouver de la clarté dans quantités d’endroits d’Horace et de Virgile, qui m’avaient paru obscurs auparavant. Je fis un commentaire amoureux sur le quatrième livre de l’Énéide ; je le destine à voir le jour, et je me flatte que le public en sera satisfait. Hélas ! disais-je en le faisant, c’était un cœur tel que le mien qu’il fallait à la fidèle Didon !

Tiberge vint me voir un jour dans ma prison. Je fus surpris du transport avec lequel il m’embrassa.