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parla de perfidie et de service intéressé rendu par M. de B***. Je demeurai interdit en lui entendant prononcer ce nom, et je le priai humblement de s’expliquer davantage. Il se tourna vers mon frère, pour lui demander s’il ne m’avait pas raconté toute l’histoire. Mon frère lui répondit que je lui avais paru si tranquille sur la route, qu’il n’avait pas cru que j’eusse besoin de ce remède pour me guérir de ma folie. Je remarquai que mon père balançait s’il achèverait de s’expliquer. Je l’en suppliai si instamment, qu’il me satisfit, ou plutôt qu’il m’assassina cruellement par le plus horrible de tous les récits.

Il me demanda d’abord si j’avais toujours eu la simplicité de croire que je fusse aimé de ma maîtresse. Je lui dis hardiment que j’en étais sûr, que rien ne pouvait m’en donner la moindre défiance. « Ah ! ah ! ah ! s’écria-t-il en riant de toute sa force, cela est excellent ! Tu es une jolie dupe, et j’aime à te voir dans ces sentiments-là. C’est grand dommage, mon pauvre chevalier, de te faire entrer dans l’ordre de Malte, puisque tu as tant de dispositions à faire un mari patient et commode. » Il ajouta mille railleries de cette force sur ce qu’il appelait ma sottise et ma crédulité.

Enfin, comme je demeurais dans le silence, il continua de me dire que, suivant le calcul qu’il pouvait faire du temps depuis mon départ d’Amiens, Manon m’avait aimé environ douze jours. « Car, ajouta-t-il, je sais que tu partis d’Amiens le 28 de l’autre mois ; nous sommes au 29 du présent ; il y en a onze que M. de B*** m’a écrit ; je suppose