Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

m’arrachait à elle, j’avais la crédulité de m’imaginer qu’elle était encore plus à plaindre que moi.

Le résultat de ma méditation fut de me persuader que j’avais été aperçu dans les rues de Paris par quelques personnes de connaissance qui en avaient donné avis à mon père. Cette pensée me consola. Je comptais en être quitte pour des reproches, ou pour quelques mauvais traitements qu’il me faudrait essuyer de l’autorité paternelle. Je résolus de les souffrir avec patience, et de promettre tout ce qu’on exigerait de moi, pour me faciliter l’occasion de retourner plus promptement à Paris, et d’aller rendre la vie et la joie à ma chère Manon.

Nous arrivâmes en peu de temps à Saint-Denis. Mon frère, surpris de mon silence, s’imagina que c’était un effet de ma crainte. Il entreprit de me consoler, en m’assurant que je n’avais rien à redouter de la sévérité de mon père, pourvu que je fusse disposé à rentrer doucement dans le devoir et à mériter l’affection qu’il avait pour moi. Il me fit passer la nuit à Saint-Denis, avec la précaution de faire coucher les trois laquais dans ma chambre.

Ce qui me causa une peine sensible, fut de me voir dans la même hôtellerie où je m’étais arrêté avec Manon en venant d’Amiens à Paris. L’hôte et les domestiques me reconnurent, et devinèrent en même temps la vérité de mon histoire. J’entendis dire à l’hôte : « Ah ! c’est ce joli monsieur qui passait, il y a six semaines, avec une petite demoiselle qu’il aimait si fort ! qu’elle était charmante ! Les pauvres enfants, comme ils se caressaient ! Pardi,