promenades, divertissements, nous avions toujours été l’un à côté de l’autre : mon Dieu ! un instant de séparation nous aurait trop affligés. Il fallait nous dire sans cesse que nous nous aimions ; nous serions morts d’inquiétude sans cela. Je ne pouvais donc m’imaginer presque un seul moment où Manon pût s’être occupée d’un autre que moi.
À la fin, je crus avoir trouvé le dénoûment de ce mystère. M. de B***, dis-je en moi-même, est un homme qui fait de grosses affaires et qui a de grandes relations ; les parents de Manon se seront servis de cet homme pour lui faire tenir quelque argent. Elle en a peut-être déjà reçu de lui ; il est venu aujourd’hui lui en apporter encore. Elle s’est fait sans doute un jeu de me le cacher, pour me surprendre agréablement. Peut-être m’en aurait-elle parlé si j’étais rentré à l’ordinaire, au lieu de venir ici m’affliger ; elle ne me le cachera pas du moins lorsque je lui en parlerai moi-même.
Je me remplis si fortement de cette opinion, qu’elle eut la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur-le-champ au logis. J’embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me reçut fort bien. J’étais tenté d’abord de lui découvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines ; je me retins, dans l’espérance qu’il lui arriverait peut-être de me prévenir en m’apprenant tout ce qui s’était passé.
On nous servit à souper. Je me mis à table d’un air fort gai ; mais à la lumière de la chandelle, qui était entre elle et moi, je crus apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma chère maî-