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de tous mes desseins. « Non, reprit-il ; mais vous m’avez toujours traité en ami, et cette qualité suppose un peu de confiance et d’ouverture. » Il me pressa si fort et si longtemps de lui découvrir mon secret, que, n’ayant jamais eu de réserve avec lui, je lui fis l’entière confidence de ma passion. Il la reçut avec une apparence de mécontentement qui me fit frémir. Je me repentis surtout de l’indiscrétion avec laquelle je lui avais découvert le dessein de ma fuite. Il me dit qu’il était trop parfaitement mon ami pour ne pas s’y opposer de tout son pouvoir ; qu’il voulait me représenter d’abord tout ce qu’il croyait capable de m’en détourner ; mais que si je ne renonçais pas ensuite à cette misérable résolution, il avertirait des personnes qui pourraient l’arrêter à coup sûr. Il me tint là-dessus un discours sérieux qui dura plus d’un quart d’heure, et qui finit encore par la menace de me dénoncer, si je ne lui donnais ma parole de me conduire avec plus de sagesse et de raison.

J’étais au désespoir de m’être trahi si mal à propos. Cependant, l’amour m’ayant ouvert extrêmement l’esprit depuis deux ou trois heures, je fis attention que je ne lui avais pas découvert que mon dessein devait s’exécuter le lendemain, et je résolus de le tromper à la faveur d’une équivoque. « Tiberge, lui dis-je, j’ai cru jusqu’à présent que vous étiez mon ami, et j’ai voulu vous éprouver par cette confidence. Il est vrai que j’aime, je ne vous ai pas trompé ; mais pour ce qui regarde ma fuite, ce n’est point une entreprise à former au hasard. Venez me prendre demain à neuf heures ; je vous ferai voir,