Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lagement sur la route. — Eh bien ! lui dis-je, je vais finir votre embarras. Voici quelque argent que je vous prie d’accepter. Je suis fâché de ne pouvoir vous servir autrement. »

Je lui donnai quatre louis d’or sans que les gardes s’en aperçussent ; car je jugeais bien que s’ils lui savaient cette somme ils lui vendraient plus chèrement leurs secours. Il me vint même à l’esprit de faire marché avec eux pour obtenir au jeune amant la liberté de parler continuellement à sa maîtresse jusqu’au Havre. Je fis signe au chef de s’approcher, et je lui en fis la proposition. Il en parut honteux, malgré son effronterie. « Ce n’est pas, monsieur, répondit-il d’un air embarrassé, que nous refusions de le laisser parler à cette fille ; mais il voudrait être sans cesse auprès d’elle : cela nous est incommode ; il est bien juste qu’il paye pour l’incommodité. — Voyons donc, lui dis-je, ce qu’il faudrait pour vous empêcher de la sentir. » Il eut l’audace de me demander deux louis. Je les lui donnai sur-le-champ.

« Mais prenez garde, lui dis-je, qu’il ne vous échappe quelque friponnerie ; car je vais laisser mon adresse à ce jeune homme, afin qu’il puisse m’en informer, et comptez que j’aurai le pouvoir de vous faire punir. » Il m’en coûta six louis d’or.

La bonne grâce et la vive reconnaissance avec laquelle ce jeune inconnu me remercia achevèrent de me persuader qu’il était né quelque chose, et qu’il méritait ma libéralité. Je dis quelques mots à sa maîtresse avant que de sortir. Elle me répondit avec une modestie si douce et si charmante, que je ne pus m’empêcher de faire en sortant mille ré-