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doyen, les passions de tous ces jolis couples allaient toujours et se compliquaient follement ; l’aimable Rose, dans sa logique de cœur, ne soutenait pas moins à son frère Patrice qu’en dépit du sort qui le séparait de son amante, ils étaient, lui et elle, dignes d’envie, et que des peines causées par la fidélité et la tendresse méritaient le nom du plus charmant bonheur. Au reste, le Doyen de Killerine est peut-être de tous les romans de Prévost celui où se décèle le mieux sa manière de faire un livre. Il ne compose pas avec une idée ni suivant un but ; il se laisse porter à des événements qui s’entremêlent selon l’occurrence, et aux divers sentiments qui, là-dessus, serpentent comme les rivières aux contours des vallées. Chez lui, le plan des surfaces décide tout ; un flot pousse l’autre ; le phénomène domine : rien n’est conçu par masse, rien n’est assis ni organisé.

Le Pour et Contre, « ouvrage périodique d’un goût nouveau, dans lequel on s’explique librement sur ce qui peut intéresser la curiosité du public en matière de sciences, d’arts, de livres, etc., etc., sans prendre aucun parti et sans offenser personne, » demeura consciencieusement fidèle à son titre. Il ressemble pour la forme aux journaux anglais d’Addisson, de Steele, de Johnson, avec moins de fini et de soigné, mais bien du sens, de l’instruction solide et de la candeur. Quelques numéros du plagiaire Desfontaines et de Lefebvre de Saint-Marc, continuateur de Prévost, ne doivent pas être mis sur son compte. La littérature anglaise y est jugée fort au long dans la personne des plus célèbres écrivains ; on y lit des notices détaillées sur Roscommon, Rochester, Dennys, Wycherley, Savage ; des analyses intelligentes et copieuses de Shakspeare ; une traduction du Marc-Antoine de Dryden, et d’une comédie de Steele. Prévost avait étudié sur les lieux et admirait sans réserve l’Angleterre, ses mœurs, sa politique, ses femmes