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une des plus heureuses personnes de l’Asie[1]. Quant à ces fils d’Amulem, à ces neveux de M. de Renoncour, il se trouve que le plus charmant des deux est une nièce qu’on avait déguisée de la sorte pour la sûreté du voyage ; mais le marquis, si triste de la mort de sa Diana, n’a pas pris garde à ce piège innocent, et, à force d’aimer son jeune ami Mémiscès, il devient, sans le savoir, infidèle à la mémoire de ce qu’il a tant pleuré. En général, ces personnages sont oublieux, mobiles, adonnés à leurs impressions et d’un laisser-aller qui par instants fait sourire ; l’amour leur naît subitement, d’un clin d’œil, comme chez des oisifs et des âmes inoccupées : ils ont des songes merveilleux ; ils donnent ou reçoivent des coups d’épée avec une incroyable promptitude ; ils guérissent par des poudres et des huiles secrètes ; ils s’évanouissent et renaissent rapidement à chaque accès de douleur ou de joie. C’est l’espèce du gentilhomme poli de ce temps-là que le romancier nous a quelque peu arrangée à sa manière. Le jeune Rosemont dans le plus haut rang, le chevalier des Grieux jusque dans la dernière abjection, conservent les caractères essentiels de ce type, et le réalisent également sous ses revers les plus opposés. Le premier, malgré ses emportements de passion et deux ou trois meurtres bien involontaires, prélude déjà à tous les honneurs de la vertu d’un Grandisson ; le chevalier, après quelques escroqueries et un assassinat de peu de conséquence, demeure sans contredit le plus prévenant par sa bonne mine et le plus honnête des infortunés. La démarcation entre les deux marquis, entre le marquis simple homme de qualité et le marquis fils de duc, est

  1. Il est question, dans la Cléopâtre de la Calprenède, d’une grande dame que Tiridate sauve à la nage, au moment où elle se noyait prés du rivage d’Alexandrie, et qui se trouve être une des plus importantes personnes de la terre.