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tisane. Mais à l’heure même où elle s’avoue coupable et dégradée, où elle encourage le mépris, elle demande grâce avec une complète sécurité. Elle a pour le chevalier des Grieux une passion si vraie, si ardente, qui se révèle par des signes si évidents, qu’elle ne doute pas un seul instant de son pardon. La sécurité de Manon, après chacune de ses fautes, est, à nos yeux, un des traits les plus remarquables de son caractère. Si la société au milieu de laquelle nous vivons ne peut, sous peine de perpétuer le désordre, accorder à toutes les femmes infidèles l’indulgence que Manon réclame pour ses fautes, les cœurs passionnés, qui ne sont dans la société qu’une exception, se montrent moins sévères et se laissent désarmer par la franchise. Le mensonge est, en effet, plus digne de mépris que l’infidélité ; c’est ce que Manon comprend admirablement. Quand elle revient près du chevalier des Grieux après ses honteuses équipées, elle insiste sur l’aveu de sa faute comme sur une preuve d’estime. Elle espère, elle implore l’affection de son amant, mais elle ne veut pas le surprendre, et c’est précisément à sa franchise qu’elle doit son triomphe. En voyant la sévérité avec laquelle Manon flétrit le désordre de sa vie, le chevalier n’a pas le courage de repousser sa maîtresse infidèle. Si elle tenait à se justifier, il se ferait un devoir de lui résister ; mais une fois son orgueil mis à l’aise par l’humilité de la suppliante, il n’écoute plus que son cœur, et Manon a gagné sa cause. Je pense donc que le caractère de cette fille, si adorable et si singulière, mérite d’être étudié comme un modèle de vérité. Quels que soient ses égarements, elle ne manque jamais de fléchir notre colère par sa tendresse et son ingénuité.

La crédulité du chevalier des Grieux n’a rien qui doive nous étonner, si nous songeons à l’âge du héros. Comme il aime pour la première fois, comme il n’a jamais été trompé, sa confiance est très-naturelle. S’il