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qui l’affermit dans son respect pour la vérité humaine des créations littéraires. Bien des livres empreints d’un talent d’écrivain très-supérieur à celui de Prévost seront oubliés avant dix ans, et, dans cent ans comme aujourd’hui, Manon Lescaut sera relu avec une vive sympathie par tous ceux qui se plaisent à étudier le jeu des passions humaines. Le maniement le plus habile du langage est impuissant à protéger contre le dédain et l’indifférence les œuvres qui cherchent la pensée dans le choc des mots au lieu de ciseler les mots selon les formes de la pensée. Les œuvres telles que Manon Lescaut, revêtues du sceau de la vérité, jouissent d’une longue popularité parmi les classes lettrées et illettrées, malgré la vulgarité de plusieurs détails, malgré l’incorrection du langage ; et cette popularité n’a rien d’illégitime, car elle repose sur le fondement même de toute poésie, sur l’analyse et la peinture des passions humaines. Les caprices de la mode ne peuvent rien sur de telles œuvres ; le culte exclusif du moyen âge peut succéder au goût de l’antiquité grecque sans discréditer la valeur de ces simples récits. Écrite avec une pureté constante, l’histoire de Manon Lescaut prendrait place parmi les plus précieux monuments de l’imagination française. Malgré les taches qu’une attention sévère ne manque pas d’y découvrir, elle doit être proposée comme sujet d’étude à tous ceux qui ont l’ambition de connaître et de retracer les joies et les angoisses du cœur.

Pour ceux qui ont pris la peine de feuilleter la biographie de Prévost, il n’est pas étonnant que Manon Lescaut ait seul conservé la popularité qui accueillit autrefois Cléveland, le Doyen de Killerine, les Mémoires d’un Homme de qualité, et tant d’autres ouvrages dont le nom n’est aujourd’hui présent qu’à la mémoire des bibliographes. L’histoire de Guillaume le Conquérant est très-justement oubliée ; et, malgré l’intérêt qui règne