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SUR

LE ROMAN DE PRÉVOST.



De tous les ouvrages de Prévost, un seul est demeuré en possession de la sympathie publique, Manon Lescaut, et c’est le seul en effet qui ait mérité de survivre. Il y a dans ce livre un charme puissant qui ne relève précisément ni de l’invention ni du style, car l’invention et le style de Manon Lescaut sont loin de pouvoir défier les reproches, mais qui s’explique très-bien par la force même de la vérité. Les sentiments qui animent ce livre, et qui circulent dans chaque page comme une sève généreuse, ne sont pas toujours choisis avec un goût très-sévère, et souvent même choquent la délicatesse des esprits les plus indulgents. Mais chacun de ces sentiments est tellement pris sur le fait, et dessiné avec une franchise si évidente, qu’il est impossible de s’arrêter à moitié chemin dès qu’on a commencé la lecture de Manon Lescaut. Chose étonnante et qui marque bien la valeur de ce livre ! Quoique le style de Manon Lescaut laisse beaucoup à désirer, il faut avoir lu plusieurs fois cette histoire touchante pour apercevoir les taches qui la déparent. C’est là sans doute un mérite singulier, qui ne réduit pas la critique au silence, qui ne lui défend pas de juger en toute liberté le chef-d’œuvre de Prévost, mais