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dre utiles mes malheurs et ses châtiments : il m’éclaira de ses lumières, qui me firent rappeler des idées dignes de ma naissance et de mon éducation.

La tranquillité ayant commencé à renaître un peu dans mon âme, ce changement fut suivi de près par ma guérison. Je me livrai entièrement aux inspirations de l’honneur, et je continuai de remplir mon petit emploi, en attendant les vaisseaux de France, qui vont une fois chaque année dans cette partie de l’Amérique. J’étais résolu de retourner dans ma patrie pour y réparer, par une vie sage et réglée, le scandale de ma conduite. Synnelet avait pris le soin de faire transporter le corps de ma chère maîtresse dans un lieu honorable.

Ce fut environ six semaines après mon rétablissement que, me promenant seul un jour sur le rivage, je vis arriver un vaisseau que des affaires de commerce amenaient à la Nouvelle-Orléans. J’étais attentif au débarquement de l’équipage. Je fus frappé d’une surprise extrême en reconnaissant Tiberge parmi ceux qui s’avançaient vers la ville. Ce fidèle ami me remit de loin, malgré les changements que la tristesse avait faits sur mon visage. Il m’apprit que l’unique motif de son voyage avait été le désir de me voir et de m’engager à retourner en France ; qu’ayant reçu la lettre que je lui avais écrite du Havre, il s’y était rendu en personne pour me porter les secours que je lui demandais ; qu’il avait ressenti la plus vive douleur en apprenant mon départ, et qu’il serait parti sur-le-champ pour me suivre, s’il eût trouvé un vaisseau prêt à faire