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l’idole de mon cœur, après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir embrassée mille fois avec toute l’ardeur du plus parfait amour. Je m’assis encore près d’elle ; je la considérai longtemps ; je ne pouvais me résoudre à fermer sa fosse. Enfin, mes forces recommençant à s’affaiblir, et craignant d’en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j’ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable ; et, fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j’invoquai le secours du ciel, et j’attendis la mort avec impatience.

Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c’est que pendant tout l’exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche. La consternation profonde où j’étais, et le dessein déterminé de mourir, avaient coupé le cours à toutes les expressions du désespoir et de la douleur. Aussi ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j’étais sur la fosse sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restaient.

Après ce que vous venez d’entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d’importance, qu’elle ne mérite pas la peine que vous voulez bien prendre à l’écouter. Le corps de Synnelet ayant été rapporté à la ville, et ses plaies visitées avec soin, il se trouva non-seulement qu’il n’était pas mort, mais qu’il n’avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les