diverses occasions que j’avais eues de les voir.
Avec cette triste ressource, j’en avais une autre du côté des Anglais, qui ont, comme nous, des établissements dans cette partie du Nouveau-Monde. Mais j’étais effrayé de l’éloignement : nous avions à traverser, jusqu’à leurs colonies, de stériles campagnes de plusieurs journées de longueur, et quelques montagnes si hautes et si escarpées, que le chemin en paraissait difficile aux hommes les plus grossiers et les plus vigoureux. Je me flattais néanmoins que nous pourrions tirer parti de ces deux ressources : des sauvages pour aider à nous conduire, et des Anglais pour nous recevoir dans leurs habitations.
Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir, c’est-à-dire environ deux lieues ; car cette amante incomparable refusa constamment de s’arrêter plus tôt. Accablée enfin de lassitude, elle me confessa qu’il lui était impossible d’avancer davantage. Il était déjà nuit ; nous nous assîmes au milieu d’une vaste plaine, sans avoir pu trouver un arbre pour nous mettre à couvert. Son premier soin fut de changer le linge de ma blessure, qu’elle avait pansée elle-même avant notre départ. Je m’opposai en vain à ses volontés ; j’aurais achevé de l’accabler mortellement si je lui eusse refusé la satisfaction de me croire à mon aise et sans danger avant que de penser à sa propre conservation. Je me soumis durant quelques moments à ses désirs ; je reçus ses soins en silence et avec honte.
Mais lorsqu’elle eut satisfait sa tendresse, avec