je veux mourir avant vous. » Il fallut beaucoup d’efforts pour la persuader de la nécessité où j’étais de sortir, et de celle qu’il y avait pour elle de demeurer au logis. Je lui promis qu’elle me reverrait dans un instant. Elle ignorait, et moi aussi, que c’était sur elle-même que devaient tomber toute la colère du ciel et la rage de nos ennemis.
Je me rendis au fort : le gouverneur était avec son aumônier. Je m’abaissai, pour le toucher, à des soumissions qui m’auraient fait mourir de honte, si je les eusse faites pour toute autre cause. Je le pris par tous les motifs qui doivent faire une impression certaine sur un cœur qui n’est pas celui d’un tigre féroce et cruel.
Ce barbare ne fit à mes plaintes que deux réponses, qu’il répéta cent fois. Manon, me dit-il, dépendait de lui : il avait donné sa parole à son neveu. J’étais résolu de me modérer jusqu’à l’extrémité : je me contentai de lui dire que je le croyais trop de mes amis pour vouloir ma mort, à laquelle je consentirais plutôt qu’à la perte de ma maîtresse.
Je fus trop persuadé, en sortant, que je n’avais rien à espérer de cet opiniâtre vieillard, qui se serait damné mille fois pour son neveu. Cependant je persistai dans le dessein de conserver jusqu’à la fin un air de modération, résolu, si l’on en venait aux excès d’injustice, de donner à l’Amérique une des plus sanglantes et des plus horribles scènes que l’amour ait jamais produites.
Je retournai chez moi en méditant sur ce projet, lorsque le sort, qui voulait hâter ma ruine, me fit