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gouverneur m’écouta avec sa bonté ordinaire. Je lui racontai une partie de mon histoire, qu’il entendit avec plaisir ; et, lorsque je le priai d’assister à la cérémonie que je méditais, il eut la générosité de s’engager à faire toute la dépense de la fête. Je me retirai fort content.

Une heure après, je vis entrer l’aumônier chez moi. Je m’imaginai qu’il venait me donner quelques instructions sur mon mariage ; mais, après m’avoir salué froidement, il me déclara, en deux mots, que M. le gouverneur me défendait d’y penser, et qu’il avait d’autres vues sur Manon. « D’autres vues sur Manon ? lui dis-je avec un mortel saisissement de cœur ; et quelles vues donc, monsieur l’aumônier ? » Il me répondit que je n’ignorais pas que M. le gouverneur était le maître ; que Manon ayant été envoyée de France pour la colonie, c’était à lui à disposer d’elle ; qu’il ne l’avait pas fait jusqu’alors, parce qu’il la croyait mariée ; mais qu’ayant appris de moi-même qu’elle ne l’était point, il jugeait à propos de la donner à M. Synnelet, qui en était amoureux.

Ma vivacité l’emporta sur ma prudence. J’ordonnai fièrement à l’aumônier de sortir de ma maison, en jurant que le gouverneur, Synnelet, et toute la ville ensemble, n’oseraient porter la main sur ma femme ou ma maîtresse, comme ils voudraient l’appeler.

Je fis part aussitôt à Manon du funeste message que je venais de recevoir. Nous jugeâmes que Synnelet avait séduit l’esprit de son oncle depuis mon retour, et que c’était l’effet de quelque dessein mé-