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nous n’ennoblissions notre amour par des serments que la religion autorise ? Pour moi, ajoutai-je, je ne vous offre rien de nouveau en vous offrant mon cœur et ma main ; mais je suis prêt à vous en renouveler le don au pied d’un autel. »

Il me parut que ce discours la pénétrait de joie. « Croiriez-vous, me répondit-elle, que j’y ai pensé mille fois depuis que nous sommes en Amérique ? La crainte de vous déplaire m’a fait renfermer ce désir dans mon cœur. Je n’ai point la présomption d’aspirer à la qualité de votre épouse. — Ah ! Manon, répliquai-je, tu serais bientôt celle d’un roi, si le ciel m’avait fait naître avec une couronne. Ne balançons plus ; nous n’avons nul obstacle à redouter : j’en veux parler dès aujourd’hui au gouverneur, et lui avouer que nous l’avons trompé jusqu’à ce jour. Laissons craindre aux amants vulgaires, ajoutai-je, les chaînes indissolubles du mariage ; ils ne les craindraient pas s’ils étaient sûrs, comme nous, de porter toujours celles de l’amour. » Je laissai Manon au comble de la joie après cette résolution.

Je suis persuadé qu’il n’y a point d’honnête homme au monde qui n’eût approuvé mes vues dans les circonstances où j’étais, c’est-à-dire asservi fatalement à une passion que je ne pouvais vaincre, et combattu par des remords que je ne devais point étouffer. Mais se trouvera-t-il quelqu’un qui accuse mes plaintes d’injustice, si je gémis de la rigueur du ciel à rejeter un dessein que je n’avais formé que pour lui plaire ? Hélas ! que dis-je ? à le rejeter ! il l’a puni comme un crime. Il m’avait souffert avec patience tandis que je marchais aveu-