Cette disposition officieuse et la douceur de nos manières nous attirèrent la confiance et l’affection de toute la colonie ; nous fûmes en peu de temps si considérés, que nous passions pour les premières personnes de la ville après le gouverneur.
L’innocence de nos occupations et la tranquillité où nous étions continuellement servirent à nous faire rappeler insensiblement des idées de religion. Manon n’avait jamais été une fille impie ; je n’étais pas non plus de ces libertins outrés qui font la gloire d’ajouter l’irréligion à la dépravation des mœurs : l’amour et la jeunesse avaient causé tous nos désordres. L’expérience commençait à nous tenir lieu d’âge ; elle fit sur nous le même effet que les années. Nos conversations, qui étaient toujours réfléchies, nous mirent insensiblement dans le goût d’un amour vertueux. Je fus le premier qui proposai ce changement à Manon. Je connaissais les principes de son cœur : elle était droite et naturelle dans tous ses sentiments, qualité qui dispose toujours à la vertu. Je lui fis comprendre qu’il manquait une chose à notre bonheur : « C’est, lui dis-je, de le faire approuver du ciel. Nous avons l’âme trop belle et le cœur trop bien fait l’un et l’autre pour vivre volontairement dans l’oubli du devoir. Passe d’y avoir vécu en France, où il nous était également impossible de nous aimer et de nous satisfaire par une voie légitime ; mais en Amérique, où nous ne dépendons que de nous-mêmes, où nous n’avons plus à ménager les lois arbitraires du sang et de la bienséance, où l’on nous croit même mariés, qui empêche que nous ne le soyons bientôt effectivement, et que