Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec lui. Je lui trouvai beaucoup de politesse pour un chef de malheureux bannis. Il ne nous fit point de questions en public sur le fond de nos aventures. La conversation fut générale ; et, malgré notre tristesse, nous nous efforçâmes, Manon et moi, de contribuer à la rendre agréable.

Le soir, il nous fit conduire au logement qu’on nous avait préparé. Nous trouvâmes une misérable cabane composée de planches et de boue, qui consistait en deux ou trois chambres de plain-pied, avec un grenier au-dessus. Il y avait fait mettre six chaises et quelques commodités nécessaires à la vie.

Manon parut effrayée à la vue d’une si triste demeure. C’était pour moi qu’elle s’affligeait, beaucoup plus que pour elle-même. Elle s’assit lorsque nous fûmes seuls, et elle se mit à pleurer amèrement. J’entrepris d’abord de la consoler ; mais lorsqu’elle m’eut fait entendre que c’était moi seul qu’elle plaignait, et qu’elle ne considérait dans nos malheurs communs que ce que j’avais à souffrir, j’affectai de montrer assez de courage et même assez de joie pour lui en inspirer. « De quoi me plaindrais-je ? lui dis-je : je possède tout ce que je désire. Vous m’aimez, n’est-ce pas ? quel autre bonheur me suis-je jamais proposé ? Laissons au ciel le soin de notre fortune. Je ne la trouve pas si désespérée. Le gouverneur est un homme civil ; il nous a marqué de la considération ; il ne permettra pas que nous manquions du nécessaire. Pour ce qui regarde la pauvreté de notre cabane et la grossièreté de nos meubles, vous avez pu remarquer qu’il y a peu de