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assemblage de quelques pauvres cabanes. Elles étaient habitées par cinq ou six cents personnes. La maison du gouverneur nous parut un peu distinguée par sa hauteur et par sa situation. Elle est défendue par quelques ouvrages de terre, autour desquels règne un large fossé.

Nous fûmes d’abord présentés à lui. Il s’entretint longtemps en secret avec le capitaine ; et, revenant ensuite à nous, il considéra, l’une après l’autre, toutes les filles qui étaient arrivées par le vaisseau. Elles étaient au nombre de trente ; car nous avions trouvé au Havre une autre bande qui s’était jointe à la nôtre. Le gouverneur, les ayant longtemps examinées, fit appeler divers jeunes gens de la ville, qui languissaient dans l’attente d’une épouse. Il donna les plus jolies aux principaux, et le reste fut tiré au sort. Il n’avait pas encore parlé à Manon ; mais lorsqu’il eut ordonné aux autres de se retirer, il nous fit demeurer elle et moi.

« J’apprends du capitaine, nous dit-il, que vous êtes mariés, et qu’il vous a reconnus sur la route pour deux personnes d’esprit et de mérite. Je n’entre point dans les raisons qui ont causé votre malheur ; mais, s’il est vrai que vous ayez autant de savoir-vivre que votre figure me le promet, je n’épargnerai rien pour adoucir votre sort, et vous contribuerez vous-même à me faire trouver quelque agrément dans ce lieu sauvage et désert. »

Je lui répondis de la manière que je crus la plus propre à confirmer l’idée qu’il avait de nous. Il donna quelques ordres pour nous faire préparer un logement dans la ville, et il nous retint à souper